LEEN ― Never trust anyone / UC.

« Soleen ? Qu’est-ce que… bon sang, mais qu’est-ce que tu fous par ici ? ». J’ai souri en voyant le visage de M. McEwan s’élargir d’un sourire. Il était bon de revoir des visages connus, surtout après tant de temps de galère. J’avais quitté St Bel depuis si longtemps que je n’étais même pas sûre de me souvenir du nom de ma rue. Enfin, si tant est qu’elle était toujours ma rue. « Je suis de retour. » Il a hoché la tête et a ouvert la porte un peu plus grand, pour m’inviter à entrer. La maison était toujours la même, mais je lui trouvais une atmosphère plus lourde, plus sombre que dans mon souvenir. « Comment va la vie, ici ? ». M. McEwan a refermé la porte derrière moi, et a toussé légèrement. « Je ne pense pas que tu aies choisi le meilleur moment pour rentrer, gamine. Tu sais, je tiens à toi comme je tenais à Ivy, et je pense que tu ne devrais pas ouvrir tes valises… » Je me suis tournée vers lui, les yeux plissés d’inquiétude. « Tenais à Ivy ? Que lui est-il arrivé ? ». Il m’a tiré une chaise, s’est servi un scotch, exactement comme d’habitude, comme si, en cinq ans, rien n’avait changé. « Une chose terrible est arrivée à Ivy. Dis-moi Soleen, pourquoi es-tu revenue ici ? ». Je me suis mordue la lèvre. Donner les vraies raisons de mon retour était tout bonnement impossible, le pauvre homme aurait fait une syncope. Je devais le prendre avec des pincettes, surtout s’il c’était passé des choses sombres par ici. « J’avais besoin de revenir aux sources. Avec tout ce dont on entend parler partout dans le monde… J’ai quitté ma mère en très mauvais termes, alors… ». C’était le moment où il m’annonçait qu’elle était morte, ou partie. Je m’étais tellement préparée à ce moment, j’ai serré la nappe sous la table, me mordant l’intérieur de la joue. « Ta mère sera folle de te voir ici. » J’ai retenu un cri. Elle était vivante, alors. J’avais eu tellement peur, loin d’elle pendant tant d’années. « Alors, pour Ivy ? ». M. McEwan a toussé, gêné, et a baissé les yeux sur son verre, qu’il venait d’avaler un peu plus rapidement que dans mon souvenir. « Ivy est morte. On a retrouvé son corps exsangue, quelques mois après ton départ. ». J’ai retenu une grimace, et hoché la tête avec un semblant de compréhension. La nature vampirique était ainsi faite, que certains dépassaient les bornes. Mais l’homme était pareil, de son côté. C’était tellement compliqué que je me perdais moi-même dans mes questionnements. Cependant, l’heure n’était pas à dire au père de ma meilleure amie morte que je doutais sur le camp à choisir dans l’histoire. Bien au contraire. « Oh mon dieu… » J’ai baissé la tête, puis me suis levée de ma chaise. Je m’en voulais tellement d’être partie, sans laisser de nouvelles à personnes, sans prévenir. J’agissais toujours sur des coups de tête, c’était pour ça que tout le monde était tellement lassé de moi. Une gamine sans préoccupations. Mais j’avais changé en voyageant, je m’étais ouvert l’esprit.
J’ai fait quelques pas dans la pièce, pour observer les photos tout autour de nous. Ivy, principalement, mais aussi Anna, sa mère, morte quand mon amie n’avait que douze ans. J’étais aussi sur les photos, avec mes deux parents. Puis mon père était partie avec une autre, donc seule ma mère restait. Il y avait nos amis de cours, tous partis dans les grandes écoles, et puis les petits amis d’Ivy, qu’elle collectionnait comme un trophée. Jusqu’au dernier. Du moins, c’est ce que je supposais. Je l’imaginais tout à fait, attirée par l’excitation, désireuse d’ajouter un vampire à sa « chasse ». Je pouvais la voir, avec lui, puis lentement sombrer dans le manque, l’exigence, la volonté toujours plus grande, et finalement un soir, dépasser les bornes, jouer dangereusement avec sa vie, et se faire vider de son sang d’un coup de dents. Elle aurait sans doute beaucoup apprécié l’ironie. Petites, nous étions des grandes fanas d’histoires fantastiques en tout genre. Nous aurions donné n’importe quoi pour que nos monstres deviennent réels. Mais aujourd’hui, tout ça était différent. Dérangeant. Je me suis tournée vers McEwan en essuyant une larme. « Je suis désolée. J’aurais aimé être là… » Il s’est levé à son tour, a reversé de l’alcool dans son verre et a secoué la tête. « Tu aurais fini par mourir aussi, Soleen. Je veux que tu t’en ailles, s’il te plait. Je ne perdrais pas de deuxième enfant. » J’ai souri doucement, pour lui signifier ma gratitude. Il avait été comme un père pour moi, au même titre que j’avais été comme une fille pour lui, mais je ne pouvais pas repartir. Pas tout de suite. Je n’étais, et ne serai jamais sa fille, inconsciente et aimant le risque. Je savais où étaient mes limites, du moins je l’espérais. « Je dois voir ma mère. Je dois rester, pour elle. » J’ai haussé une épaule, sans faire de précisions pour le moment. Je l’ai embrassé sur la joue, puis je suis sortie, inspirant un énorme bol d’air frais. Cette maison avait définitivement perdu sa bonne humeur et son charme d’autrefois.



« … Soleen ? » Deuxième édition. J’ai souri à travers mes larmes en la voyant m’ouvrir la porte d’un fauteuil roulant. J’avais laissé ma mère seule, et elle était devenue vieille seule. Cette pensait me serra le cœur, mais je ne m’attarderais pas sur ces sombres croyances, pas aujourd’hui, du moins. J’avais d’autres choses à faire, d’autres personnes à voir. « Bonjour, Maman. » Elle m’a souri, puis s’est mise à pleurer, et m’a fait signe d’avancer vers elle. « Je t’ai cru morte, disparue… » Si elle savait, comme je l’avais crue morte, moi aussi. « Qu’est-ce que… Pourquoi… Quand… » J’ai rit légèrement, et j’ai secoué la tête, me penchant vers elle. « Tout va bien, Maman, je suis rentrée. Pour de bon. J’aurais tout le temps de te raconter. » Elle sembla si heureuse, que l’espace d’un instant, l’espoir qu’elle ne tente pas de me renvoyer loin d’ici s’encra en moi. Malheureusement, je savais qu’une fois sa joie passée, elle se dirait devoir être raisonnable, et me demanderait de quitter les lieux, ce à quoi je m’opposerai violemment, ce qui finira sans doute en dispute, et une fois de plus, nous aurons une raison de ne plus nous parler. Mais il fallait profiter du moment présent, rien ne me le prouvait plus. Carpe Diem. « Je suis si heureuse d’être rentrée. » J’ai posé mon sac sur la première marche de l’escalier, en me demandant comment ma mère, autrefois si dynamique, avait atterrit dans une chaise roulante. J’étais parfaitement consciente d’avoir probablement ruiné le reste de sa vie, mais cette pensée ne me dérangeait pas réellement. Elle avait foutu en l’air tout le début de la mienne, œil pour œil, dent pour dent, n’est-ce pas ? « Les choses ont beaucoup changé, ici, Soleen. Ivy… » « Je sais, Maman. J’ai vu Paul McEwan déjà. Est-ce qu’on peut parler de ça plus tard ? J’ai besoin d’un peu de temps… » Elle a hoché la tête, et m’a montré la table de la cuisine, sur laquelle était posée une assiette, et une série de photos. Ma mère, dinant en tête à tête avec une photo de moi et de Papa ? C’était tellement pathétique que cela me fit sourire. Papa s’en mordrait les doigts, aujourd’hui, il avait toujours été du genre à avoir des remords. « J’ai déjà diné, merci ». J’ai souri, et j’ai passé ma main sur sa joue, doucement. J’aurais tellement aimé avoir le cœur empli de joie, à ce moment là. Mais la retrouver n’était pas exactement la chose que je voulais. J’avais quelques regrets bien sûr, et la voir ainsi me rendait triste. Il était trop tard pour elle, et trop tard pour nous deux. J’ai soupiré en me redressant, et je lui ai dit, doucement, « J’ai besoin de repos. Je te raconterai tout demain, d’accord ? ». « Je t’en prie. Tu sais où est ta chambre ? » J’ai hoché la tête, attrapé mon sac, et je suis montée à l’étage, qui m’était désormais, du moins, comme je le supposais, réservé. J’ai posé mon sac dans le couloir, et j’ai poussé la porte de ma chambre. Elle n’avait pas changé d’un poil, toujours les mêmes couleurs, les mêmes accessoires, le même lit. J’ai souri, et une vague de souvenirs m’a submergée. J’ai frôlé les murs, touché la couette, et inspiré à fond l’odeur des meubles. Je me suis tournée vers la grande glace qui ornait le mur de gauche, et j’ai sourit de plus belle. « Bonsoir, Ethan. » Je me suis retournée pour lui faire face, et un sourire éclatant l’a animé soudainement.



« Bonsoir, Ethan. » Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire. Depuis cinq années, il n’avait pas changé, ce qui n’aurait évidemment pas du m’étonner, mais qui me fit quand même un drôle d’effet. Le voir d’un œil de petite fille, comme le grand frère que je m’étais toujours imaginé qu’il était pour moi, c’était une chose. Le voir de l’œil d’une femme comme l’un des leurs, un vampire, en était une autre. J’étais partagée entre cet irrésistible désir de le questionner, et cette peur panique de découvrir des choses qui ne me plairaient pas. J’ai remué légèrement les lèvres, et il s’est approché d’un pas souple, m’a déposée un baiser sur le bord des lèvres le plus naturellement du monde, avant de s’asseoir sur le bord de mon lit. La situation était beaucoup plus simple pour lui désormais, étant donné qu’il pouvait faire tous ses trucs peu ordinaires sans que je n’en sois choquée. Il savait sans doute que j’étais revenue à cause de ça, à cause de ce que j’avais appris. Rien ne l’empêchait désormais d’être un type flippant mais terriblement charmant. Je ne me suis pas démontée cependant, ce n’était pas mon genre. « Les années qui passent te vont comme un charme. » Il a sourit, et a hoché la tête. Il s’est levé, et a attrapé ma main, comme pour se refamiliariser avec un contact perdu. J’ai légèrement sursauté, mais rien de trop visible pour qu’il ne crie pas victoire très rapidement. Je n’avais jamais réfléchi à quel point il était beau – mais surtout, présent, en réalité. « Tu es revenue plus tard que je ne l’imaginais. » J’ai haussé une épaule. « Une amie à moi est morte. On raconte que ce sont les tiens qui ont fait ça, j’avais besoin de comprendre. » Il a soupiré fortement, mais sans se départir néanmoins de son sourire insolent. « Ma pauvre Soleen. Est-ce que tu sais qu’il me suffirait d’un infime mouvement pour que le même sort que celui de ta copine t’attende ? » Je me suis tournée vers lui, les sourcils fortement haussés, dans une expression sans doute légèrement teintée de peur mais quand même pleine d’assurance. « Je t’en prie, fais toi plaisir. » Il a secoué la tête, presque las. « Ca ne dépend pas de moi. Ca dépend de chacun d’entre nous. Tu croises les mauvaises personnes, dans un mauvais jour. Ca pourrait être pareil avec l’un d’entre vous. » Je me suis détachée pour me diriger vers la fenêtre. Si ma mère savait, elle ferait une crise cardiaque, sans doute. J’étais revenue ici parce que j’aimais incontestablement fourrer mon nez dans tout ce qui sortait un peu de l’ordinaire, d’autre plus quand cela concernait ma propre ville. Il m’était important de me faire une opinion ce qui se passait, mais ça ne me paraissait pas possible. « Tu n’aurais pas du venir. » J’ai secoué la tête sans me retourner, parce que si je l’avais fait, il aurait vu mes faiblesses – c’était impossible. Depuis cinq ans, je n’avais plu été faible, ça n’était pas aujourd’hui que ça allait recommencer. En moins d’une seconde – pas assez de temps pour moi pour réagir, il était derrière moi. Son souffle contre mon cou, sa main qui remonte le long de mon bras. Je me suis retournée pour lui faire face, et il m’a poussée légèrement contre le mur. « Je ne regrette jamais ce qui est déjà fait. » Il a plongé son regard dans le mien, et je me suis figée, transpercée par une incroyable envie de prendre ses lèvres et de ne plus m’en décrocher. Son image de grand frère venait d’en prendre un sacré coup. Comme s’il avait l’éternité devant lui – attendez une minute… c’était le cas – il s’est penché vers moi, déposant ses lèvres glacées contre mon cou. J’ai agrippé sa chemise par reflexe, et il m’a soulevée comme si j’étais la chose la plus légère du monde. J’ai étouffé un cri quand on s’est enfoncé dans mon lit.

« Tu as passée une bonne nuit, trésor ? » J’ai cligné des yeux, en remontant le col de mon col-roulé et en dégageant quelques unes de mes mèches pour cacher mon air endormi. « Assez bonne, oui. » Je ne me rappelai pas bien quel avait été le moment où la nuit avait commencé, ni quand elle avait terminé, je savais juste que le souvenir confus que j’en gardais était exceptionnel. J’ai soupiré en attrapant une orange, et je suis sortie sans un mot de plus, pour la manger dehors. Un soleil faiblard dominait le ciel, et à quelques mètres, un regroupement de personnes discutaient avec l’air très sérieux. J’ai descendu les quelques marches du perron pour entendre ce qui se disait. Finalement, une vieille dame s’est tournée vers moi. « Dîtes à votre mère qu’ils en ont eu un cette nuit ! ». Elle a souri, en dévoilant une rangée de dents complètements pourries, et j’ai eu un haut le cœur – mais pas à cause des dents.