LUHAN - « unstable flame »

La jeune femme leva la tête observant un ciel chargé de nuages sombres. Le vent qui se faisait rare il y a une heure à peine commençait peut à peut à se lever, sans pour autant rafraîchir l’atmosphère pesante. Quelques gouttes d’eau s’écrasèrent sur les bras nus de Luhan qui se trouvait à la lisière de la forêt. Dix minutes plus tard, quittant le chemin tracé pour les promeneurs, elle s’enfonça au cœur de la végétation. Jetant un coup d’œil prudent alentour, elle se déshabilla rapidement et dissimula ses vêtements à la vue de tous puis se mit à courir. Alors, en elle, un cliquetis résonna ouvrant la serrure de quelque chose qui mourrait d’envie de faire surface. Ses os craquèrent, ses muscles roulèrent sous sa peau qui s’étirait déjà et ressemblait à présent à un océan déchaîné. Ses pupilles se dilatèrent, sa vision s’accrue, son ouïe se fit plus fine et capta des choses qu’un humain ne pouvait normalement pas entendre. Elle vit ses mains s’allonger et des griffes jaillirent de ses doigts. Alors elle ne put se contrôler plus longtemps et poussa un grognement rauque qui roula dans sa gorge. La jeune femme accéléra sa course tandis que de la fourrure épaisse recouvrait peut à peut l’ensemble de son corps. Elle pleura car malgré l’habitude la douleur restait insoutenable. Elle n’oublierait jamais sa première fois qui après toutes ses années restait un souvenir cuisant. Un souvenir qu’elle ne pouvait s’empêcher de se remémorer à chaque métamorphose. Sentant que le point culminant de sa transformation allait survenir, elle prit de l’élan et bondit. La douleur disparue aussi vite qu’elle s’était manifestée et ce fut des pattes puissantes qui foulèrent à nouveau la terre ferme. La transformation avait duré qu’une poignée de secondes qui pourtant représentait une éternité pour n’importe quel changeur. La louve à la fourrure chocolat hurla dans la nuit son plaisir et son désir de liberté. C’était comme ci la nature s’ouvrit entièrement à Luhan et ne possédait plus de secret pour elle. La jeune femme à ce moment précis, avait conscience de tout ce qui l’entourait, ses sens enregistraient le moindre son, allant de la simple feuille qui frémissait sous le souffle du vent à la fourmi qui regagnait son refuge. La pluie se déversant sur la forêt produisait une étrange et étonnante symphonie. Cette tempête de sentiments qui se déchainaient en elle agissait comme une véritable drogue. A chaque transformation, elle attendait avec impatience le moment où elle ressentirait contrôle, puissance, excitation… parcourant son corps comme un frisson agréable de la tête jusqu’au bout des doigts de pieds.

Cependant ce moment de liberté et d’insouciance fut interrompu par un enchaînement de bruits qui n’étaient en rien propre à l’environnement de la forêt. La louve ralentit l’allure pour finalement s’immobiliser puis dressa les oreilles à l’affut. Les mêmes sons retentirent à nouveau, de plus en plus proches. Poussée par sa curiosité, Luhan se dirigea prudemment vers leur source en s’orientant grâce à son ouïe et son odorat. Quand elle ne fut plus qu’à quelques mètres une odeur désagréable et malheureusement familière vint lui chatouiller les narines. Alarmée, elle s’allongea (pour ne pas dire se ratatina) sur le sol et ne bougea plus de peur d’attirer l’attention. Un coup de feu éclata en même temps que les deux hommes entrèrent dans son champ de vision, il s’agissait d’une lutte entre un chasseur et un vampire. Il y a des jours comme ça, où la chance a décidé de vous abandonner pour se tailler Dieu sait où… La louve ne savait que faire et ne pouvait qu’assister au combat qui se déroulait devant elle. Elle priait pour ne pas que le vent tourne et apporte son odeur au vampire qui se ferait une joie d’en faire son dessert. Les vampires n’en ont jamais assez, la jeune femme l’avait apprit à ses dépend une année plus tôt. Des éternels insatisfaits qui se moquent de la vie sous prétexte qu’ils sont immortels. Des putains d’égoïstes ! Voilà ce qu’ils sont, des putains d’égoïstes dangereux. Comme si le monde avait besoin de ça. La peur la paralysait littéralement à un tel point que la jeune femme devait se concentrer pour ne pas trembler, le moindre bruit, même infime, pouvait trahir sa présence. Un nœud enserrait son estomac, de la bile remontait le long de sa gorge. Ne pas bouger, ne pas bouger… Mais aussi grande sa peur soit elle, assister à un meurtre ne l’enchantait guère. Luhan avait conscience que si elle laissait sa lâcheté l’emporter, le visage de cet homme la hanterait nuit après nuit. « Met toi ta proposition là où je pense. » Elle revint subitement à la réalité et se rendit compte que le vampire serrait de sa main droite la gorge du chasseur qui battait des pieds dans le vide. S’il fallait intervenir c’était le moment où jamais, après il serait trop tard et l’homme mort. La jeune femme jura intérieurement, maudit sa conscience, se ramassa sur ses pattes arrières et bondit pour percuter le vampire qui relâcha sa prise sur le coup de la surprise. C’est à cet instant que les instincts de la bête prirent le dessus, remontèrent à la surface, explosèrent, repoussant l’essence de la jeune femme et sa peur, l’étouffant, l’emprisonnant dans un recoin de son esprit. Un sentiment grisant de puissance tenait la louve en proie à l’adrénaline qui parcourait ses veines. Le combat débuta, les coups fusèrent décuplés par la haine éprouvée envers l’autre. Il était rapide et fort, difficile à éviter. Mais Luhan se rendit compte qu’il s’agissait d’un vampire récemment transformé et donc incapable de raisonner de façon cohérente en pleine lutte lorsqu’il était envahit par ses émotions et surtout, oui surtout, le goût du sang. C’est pourquoi elle privilégia la tactique alors que lui fonçait dans le tas dès que l’occasion se présentait. La louve plongea sans crier garde, croyant avoir repéré une ouverture mais il bougea au dernier moment, l’empoigna et l’envoyer valser. Elle percuta violemment un arbre, le choc lui coupa net la respiration et quand elle tomba lourdement sur le sol son cœur s’était emballé. Le vampire approcha, doucement, il prenait délibérément son temps un immense sourire de satisfaction étirant ses lèvres. La jeune femme était à bout de force et il le savait. Cependant, le vampire commettait deux erreurs ; La première, de croire que Luhan abandonnait si facilement. La deuxième, d’avoir oublié la présence du chasseur. Elle rassembla son courage et se qui lui restait de force pour bondir une dernière fois et faire basculer le vampire qui tomba sur le dos. Le chasseur surgit à leurs côtés et lui planta directement, sans demander son reste, un pieu dans le cœur. Vous avez déjà vu un vampire mourir ? Et bien c’est plutôt écœurant et surtout très salissant. Le cœur battant la chamade, elle regarda le vampire disparaître et savait qu’elle n’était pas prête d’oublier la surprise qu’affichait son visage. La louve se releva péniblement, fit à peine trois pas, tituba et s’effondra une fois de plus. Une vive douleur lui déchira le ventre tandis que l’odeur de son propre sang lui emplit les narines. Le chasseur apparut à ses côtés, son arme pointée sur elle. S’il le désirait, il pouvait l’abattre maintenant, à bout portant. Luhan voulut rire mais c’est un son étrange qui sortit de la gueule de la louve. Elle avait prit le risque de lui sauver la vie et finalement il lui enlèverait la sienne car pour les chasseurs, elle était un monstre et rien de plus. Des spasmes secouèrent son corps et le pire se produisit, la jeune femme reprit sa véritable apparence et enfuit son visage entre ses mains pour lui cacher ses larmes, sa faiblesse. Elle se recroquevilla sur elle-même et fit quelque chose que jamais elle n’aurait cru faire : Elle implora. « Je vous en prie ne me tuait pas. » Elle implora en mettant sa fierté de côté, convaincue qu’elle n’en aurait peut être plus besoin. Elle implora car elle ne voulait pas mourir. Elle implora car elle ne pouvait rien faire d’autre. Luhan ferma les yeux et les ténèbres l’enveloppèrent d’une douce et rassurante chaleur. Alors c’était ça la mort ?


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